Myriam, oiseau de liberté.

Marseille, boulevard de la Libération. Nous entrons « Chez Romain et Marion », petit restaurant convivial aux saveurs afghanes. Myriam, la patronne des lieux, nous accueille. Le sourire illuminant un visage  dont on devine la force, elle nous parle de son parcours, par-delà les frontières.

Kaboul. C’est là que Myriam voit le jour. Elle grandit sous les yeux aimants d’un père afghan et d’une mère qui a quitté la France par amour. Très tôt, la coquette petite fille aux ongles impeccables s’éprend de liberté. Comme les garçons de son âge, elle veut grimper aux arbres, sauter de toit en toit. Elle aime les choses simples : jouer à l’apprentie coiffeuse sur les cheveux de sa mère ou ceux de ses sœurs, parcourir les jardins des deux maisons familiales, les plus beaux du quartier, où toutes les odeurs se mélangent dans une subtile harmonie. Malgré quelques années adolescentes un peu rêveuses, Myriam est une élève studieuse et obtient son bac. Elle est même admise en faculté de sciences.

Quand elle nous parle de Kaboul ou de Jelalâbad, ce n’est pas sans nostalgie. Tant de choses lui manquent, tant de lieux où elle n’a plus pu passer de temps depuis son départ pour la France, en 1981, quelques années après l’invasion des russes en Afghanistan.

La situation s’étant tendue, les études devenant quasiment impossibles, Myriam, sa mère et ses sœurs s’envolent pour la France, dans l’espoir de lendemains plus paisibles. Son père les rejoindra un an plus tard. Après deux ans d’acclimatation à la France, à sa langue, Myriam entreprend des études de coiffure, mais ne parvient pas ensuite à trouver un emploi stable. Elle travaille ensuite dans un magasin du coin, mais des conflits apparaissent et elle finit par s’en aller. Elle se marie, donne la vie à deux enfants : Romain et Marion, « les seules personnes pour qui je ferais tout », nous confie-t-elle. Elle entreprend une formation en secrétariat, mais ne peut se résoudre à travailler des heures durant entre quatre murs opaques et tristes, un peu comme ces oiseaux qu’on ne peut mettre en cage.

Ce restaurant aux parfums de cuisine familiale, elle y a songé plus d’une fois, se heurtant à la méfiance de sa mère, puis au refus de son mari. Finalement, en 2006, après avoir divorcé, elle décide de poser les premières briques de ce rêve, « sans un sou en poche ». Jusqu’en 2014 où son fils la rejoint, lui offrant alors une aide précieuse, elle s’occupe de tout, seule, d’une main de fer : des courses à la cuisine, en passant par les papiers et le service. Elle doit affronter les préjugés sur l’Afghanistan qui font parfois fuir les clients. Elle fait des ménages et investit ce qu’elle gagne dans le restaurant, pour qu’il ne coule pas. Pourquoi fait-elle tout cela ? Par passion pour la cuisine ? « Non, nous répond-elle, je déteste ça ». Si elle se bat ainsi, c’est par amour pour la terre sur laquelle elle a fait ses premiers pas, c’est pour faire connaître ce pays, défier les frontières. C’est aussi pour que les gens se rencontrent, anéantissant d’autres frontières encore, celles de la solitude. Elle est fière des découvertes humaines qu’elle a faites ici, ces amoureux de l’Afghanistan, ou encore ces personnes émues aux larmes par la ressemblance des plats du restaurant avec ceux de leur enfance pourtant passée au Liban, ou encore en Arménie, parce que la cuisine se moque bien des barrières que l’homme a tracées. La cuisine, c’est le mélange, la rencontre des peuples, le voyage, la liberté.

A la fin de l’entretien, vient le moment de la photographie. Nous demandons à Myriam d’adresser, par son regard, un message aux femmes du monde. D’emblée, elle nous annonce que sa mine ne sera pas joyeuse. Son message, c’est une mise en garde. « Quand on n’est pas bien, il faut partir, surtout en France où l’on peut travailler. » Partir par respect pour soi-même, partir pour mener la vie que l’on souhaite et ne pas subir. Voilà le message d’une femme qui porte la liberté comme une seconde peau, non négociable.

Maëva Gardet-Pizzo

 

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